L’autonomie de la sexualité : entre Nietzsche et Platon 2/3

Cet article est la partie 2 du sujet « l’autonomie de la sexualité : entre Nietzsche et Platon », et traite du plaisir sexuel modéré. Si vous n’avez pas lu la partie 1 commencez dès maintenant avec L’autonomie de la sexualité : entre Nietzsche et Platon partie 1/3

autonomie-et-sexualité

Le plaisir sexuel modéré :

abstinence-et-frustration

Faut-il supprimer le plaisir sexuel ? Nous ne saurions pas vraiment dire ce que Platon en pense, mais il semble ne pas inclure ce plaisir dans sa vision de la vie bonne à la fin du Philèbe[1]. Par contre il lui arrive de parler du plaisir sexuel plusieurs fois afin de dire qu’il faut le modérer, et il nous explique pourquoi et comment. De même pour Nietzsche il nous explique comment le modérer. Mais avant tout, voyons ce que le refus de tout plaisir sexuel peut apporter selon Nietzsche.

      Si le plaisir sexuel peut conduire à la démesure et en cela pousser l’homme vers le bas, alors s’en abstenir à la manière d’un ascétique est-il viable pour l’homme ? Ne pas s’y adonner ne peut-il pas être la solution ? Selon Nietzsche l’abstinence n’est  pas viable car elle déchaine l’envie comme si un démon nous tentait à chaque seconde et que nous livrions un combat perpétuel qu’il faudrait gagner, et de ce fait l’abstinence travestit l’esprit de milles vices :

« On sait que l’imagination sensuelle est modérée, voire presque réprimée par la régularité des relations sexuelles, et qu’inversement, l’abstinence et le désordre de ces relations la déchaînent et la rende dissolue. L’imagination de bien des saints chrétiens était d’un degré d’obscénité exceptionnel. Grâce à la théorie qui faisait de ces désirs de véritables démons en furie qui les habitaient, ils ne s’en sentaient pas trop responsables ; c’est à ce sentiment que nous devons la franchise tellement instructive de leurs confessions. »[2].

Une autre conséquence de cette abstinence, c’est le fait que ces hommes ascètes, en parlant mal des passions, en les considérants comme mauvaise, en font une source de misère intérieure pour l’homme. Alors que celles-ci sont nécessaires à celui-ci, il se voit maintenant contraint à les affronter comme de mortels ennemis. De plus, l’abstinence peut avoir pour résultat, l’effet inverse de ce qu’elle voulait. En effet :

« Pour finir, cette diabolisation de l’Eros a connu une issue comique : Le “diable” Eros a eu peu à peu plus d’intérêt pour les hommes que tous les anges et tous les saints grâce aux basses intrigues et menées secrètes de l’Eglise en matière érotique ; elles ont eu pour effet, jusqu’à l’époque présente encore, de faire de l’histoire d’amour le seul objet d’intérêt commun à tous les milieux, avec une exagération qui serait incompréhensible pour les Anciens et qui redeviendra un jour objet de risée. »[3].

Ainsi, il n’y a peut-être pas eu dans l’histoire du monde, de période plus déchainée en matière sexuelle que durant la période chrétienne.

Cela contredit ce que Platon voulait tenter de faire pour modérer la fréquence des plaisirs sexuels. En effet celui-ci pensait justement qu’à défaut d’abstinence, il fallait modérer le plaisir sexuel par l’instauration de lois, mais pas n’importe quel genre de lois, des lois orales, coutumières. En effet Platon opère à une apologie du plaisir modéré en posant que le plaisir sexuel doit être fixé par des bornes, qu’il dit être celles de la nature[4]. Ainsi, l’accouplement est légitime lorsqu’il est furtif et dans un but eugéniste et érotique nécessaire, rien de plus. Il propose ainsi de rendre la chose sexuelle honteuse, ne devant pas être faite en public mais en cachette. En bref, à rendre tabou la chose afin qu’elle soit fait le moins possible, notamment à travers l’aide du concept de pudeur que Nietzsche critiquera fortement. Dans Les Lois, il nous apprend qu’il faut modérer le plaisir sexuel par « la peur, la loi et le discours vrai. »[5], afin d’en arrêter la démesure et la frénésie[6]. De ce fait il semble que pour Platon il faille montrer que les lois sont conformes à la nature, ou doivent l’être. Ainsi les rapports sexuels ne doivent selon lui être que dans un but de procréation et il nous incite pour faire assoir la suprématie de cela d’instaurer au discours un caractère religieux. En conséquence la loi comme coutume non écrite aura plus de puissance et sera plus forte qu’une loi écrite, car cette loi, pour reprendre un vocabulaire nietzschéen cette fois-ci, ce sera fait « chair ». Voici quelques extraites pour appuyer notre propos :

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« Tout ce que tu dis là est on ne peut plus juste, du moins quant au fait que la voix de l’opinion publique possède un extraordinaire pouvoir, [838d] dans tous les cas où personne ne se risquerait même à respirer autrement que ne le veut la loi. […] Ainsi nous avions raison de dire tout à l’heure, que le législateur, s’il souhaite subjuguer l’un de ces désirs qui asservissent le plus surement les hommes, saura facilement de quelle manière en venir à bout : sur le même sujet, il n’a qu’à investir d’un caractère religieux la voix publique chez tout le monde, esclaves et hommes libres, femmes, enfants et la cité toute entière, et de cette façon, pour cette loi, il aura créé [838e] la stabilité la plus assurée. »[7].

Or ceci revient selon nous, au résultat constaté par Nietzsche avec l’abstinence. Car si pour Platon, la pudeur instaurée par les lois diminue la fréquence de l’acte sexuel[8], pour Nietzsche cela ne fait qu’aggraver le désir d’union sexuelle. Et ce concept de pudeur[9] travestissant la bonne relation sexuelle, du côté de la vie, en ignoble démon à vaincre, la change directement en objet de mort. 

Pour en revenir et en conclure sur l’abstinence, Nietzsche, bien qu’il dise que : « La prédication à la chasteté est une incitation publique à la contre-nature. »[10], du fait qu’elle est pour beaucoup un vice puisqu’elle a pour résultat la jalousie, brillant de mille feux en leur intérieur, si bien, qu’elle se retrouve dans la transpiration de chacun de leurs actes, car la bête sensuelle, les pourchasses : « […] Et avec quelle gentillesse la chienne Sensualité, sait mendier un morceau d’esprit quand on lui refuse un morceau de chair. […] Votre lubricité ne s’est-elle pas simplement travestit pour prendre le nom de pitié ? »[11], et qu’il déconseille fortement à « celui à qui la chasteté est  difficile, il faut la lui déconseiller : qu’elle ne devienne pas le chemin de l’enfer, c’est-à-dire fange et lubricité de l’âme. »[12], il n’insinue pas pour autant que cela ne sied pas à la vie de certains, sous quelques conditions. En effet il est possible pour de rares cas de vivre de chasteté sans que cela ne pervertisse leurs esprits. Ceux-là ont en effet une structure particulière de l’esprit qui rend la chasteté naturelle, semblable à une vieille amie, mais ces rares cas ne doivent pas imposer ou être pris en exemple pour ceux qui n’en ont ni la structure ni la force. C’est ce que nous comprenons en tout cas du passage suivant : « La chasteté n’est-elle pas folie ? Mais cette folie est venue à nous, ce n’est pas nous qui sommes allés à elle. Nous avons offert à cet hôte le gîte et le cœur : maintenant il habite chez nous, – qu’il reste aussi longtemps qu’il lui plaise. »[13].

Nous avons donc vu que la chasteté n’était pas viable, et que la proposition platonicienne ne semblait pas être viable non plus à long terme. Nous allons maintenant voir comment Nietzsche propose de modérer notre fréquence de plaisir sexuel.

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[1] Plus précisément lorsqu’il fait l’état des lieux  à partir du 66a, p. 230.

[2] NIETZSCHE, Humain trop humain I, Troisième section – La vie religieuse, §141, éd. GF Flammarion, Trad. P.Wotling, Paris, 2019, p. 186-187.

[3] NIETZSCHE, Aurore, Livre I, §76, éd. GF Flammarion, Trad. E. Blondel, O. Hansel-Love et T. Leydenbach, Paris, 2012, p. 84-85.

[4] Par les lois.

[5] PLATON, Les Lois [783a – 783c], éd. Flammarion, in Platon – Œuvres complètes, Dir. Luc Brisson, 2008, p. 531.

[6] Platon parle de discours vrai, pourtant il semble nous inciter à mentir et travestir la réalité pour arriver à cette modération.

[7] PLATON, Les Lois [838a – 839b], éd. Flammarion, in Platon – Œuvres complètes, Dir. Luc Brisson, 2008, p. 558-559.

[8] PLATON, Les Lois [841a – 842a], éd. Flammarion, in Platon – Œuvres complètes, Dir. Luc Brisson, 2008, p. 560.

[9] Nietzsche en parle notamment dans Humain trop humain I, dans la section 2 au §100.

[10] NIETZSCHE, Ecce Homo, Pourquoi j’écris de si bons livres, §5, éd. Mille et une nuits, Trad. H. Albert, 1996, p. 82.

[11] NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, De la chasteté, éd. Le livre de poche, Trad. G-A Goldschmidt, 1983, p. 73.

[12] Idem.

[13] Ibid.

6 méthodes pour combattre la violence d’une pulsion :

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  Pour Nietzsche il y a au moins 6 méthodes pour combattre la violence d’une pulsion[1], c’est-à-dire, pour modérer son flux. La première consiste à esquiver les occasions de satisfaire la pulsion en question jusqu’à l’affaiblir assez puissamment pour ne plus qu’elle nous touche. La seconde consiste à la satisfaire en lui imposant une régularité, un rythme strict à des périodes déterminés[2]. La troisième méthode consiste à laisser la pulsion se déchainer jusqu’à en être dégouté[3]. La quatrième consiste à associer la pulsion, lorsque nous y laissons cours, à une autre pensée extrêmement désagréable pour nous, d’une pénibilité insoutenable, ce qui à terme devrait aussi nous en écœurer, ou tout du moins nous empêcher de la suivre. La cinquième méthode consiste à déplacer son abondance d’énergie vers un autre objet. Enfin la sixième et dernière méthode consiste à affaiblir toutes ses forces pulsionnelles comme un ascète. Cela signifie, vis-à-vis de la pulsion sexuelle que nous pouvons la combattre : soit en fuyant les occasions de la satisfaire, c’est-à-dire fuir toute situation ou personne pouvant assouvir ou donner envie d’assouvir cette envie. Soit la satisfaire dans un régime strict, par exemple en s’accordant un plaisir sexuel une fois par mois sans aucune souplesse. Soit la pousser à l’excès jusqu’à ne plus en avoir envie, un peu comme lorsque nous mangeons tous les jours un plat que nous adorons jusqu’à ce que celui-ci nous donne envie de vomir à sa vue, ou encore que le goût de la nourriture se soit amoindri par habitude.  Soit l’associer à quelque chose qui nous horrifie ou terrifie rien qu’en y pensant, par exemple en associant la masturbation ou son envie, à Dieu qui nous juge ou au diable qui tente de nous attirer en enfer si on réalise cet acte. Soit dépenser son énergie liée à l’envie sexuelle vers autre chose, comme l’art, le sport ou le travail acharné en générale, qui a pour conséquence  de ne plus avoir assez de force restante pour nous consacrer à cette pulsion. Soit enfin en accordant plus d’intérêts aux passions, tel un ascète ou un bouddhiste qui prônerait un retour au néant, en bref, tuer les passions toute autant qu’elles soient. Dit d’une autre manière : s’autodétruire. Voilà les méthodes qui selon Nietzsche permettent de combattre une pulsion, et dont certaines donnent finalement crédit à certaines choses dites par Platon ou les ascètes, du moins dans la méthode, mais peut-être pas dans la pratique.

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De toutes ces méthodes il en est une en particulier qui nous intéresse : La cinquième, qui, nous croyons, peut s’apparenter à la notion de spiritualisation chez Nietzsche. En effet si le plaisir sexuel à l’excès n’est pas viable, si sa modération est difficile, il est pourtant une voie royale qui nous semble être la plus préférable, si tant est qu’elle soit bien utilisée. Ce que nous allons voir dans une troisième et dernière partie. 

[1] Pour les voir plus en détails se référer au §109 du livre II d’Aurore.

[2] Cette méthode pouvant être une prémisse à la première énoncée.

[3] Cette méthode-ci semble dangereuse et n’aboutir à son objectif que très rarement.

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Aurore de Nietzsche

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